Une volonté solide comme le chêne

Article de Valeurs Économiques – Hautes Saône 1er trimestre 2022

„LAETITIA ROCHATTE

UNE VOLONTÉ SOLIDE COMME LE CHÊNE

Issue d’une famille d’entrepreneurs forestiers, Lætitia Rochatte a racheté la scierie luronne Simec en 2019, désormais appelée Virtuobois. Déjà dirigeante de la société Gerbois dans les Vosges, elle a relancé la production avec son équipe et projette de nouveaux investissements pour développer de nouvelles activités.

 

Dans les Vosges, le nom de Rochatte est associé aux métiers du bois depuis plus d’un siècle. Depuis cinq générations, parents et enfants travaillent tous dans ce secteur d’activité et couvrent quasiment toutes les étapes de la filière, de la première transformation avec le sciage, au bois de chauffage, en passant par le transport forestier. Au Syndicat, la société familiale de transport forestier a fêté ses trente ans en 2020, alors que l’arrière-grand-père débardait déjà du bois avec les hippomobiles dans les années 1900.

 

Après ses études, Lætitia Rochatte s’est spécialisée dans le commerce international, dans de grandes entreprises de télécommunications, de distribution ou de bricolage. Mais, lorsqu’elle a voulu « redonner du sens » à sa carrière, elle a retrouvé le giron familial et ce matériau qui l’unit aux siens. Avec sa mère Rose-Marie, elle a racheté en 2014 l’entreprise Gerbois de Sapois, qui fabrique des emballages en bois, notamment pour l’industrie automobile, industrielle ou viticole. Déjà à la tête d’une équipe de douze salariés, elle s’est lancée seule dans une nouvelle aventure professionnelle, en mars 2019, en rachetant la Simec de Lure, aujourd’hui renommée Virtuobois.

 

Implantée à l’entrée de la cité du Sapeur Camember depuis plus de trente ans sur un terrain de quinze hectares, cette scierie spécialisée dans le chêne a longtemps travaillé pour un fabricant de parquets italiens. Mais, dans les années 2000, les parqueteurs se sont tournés vers des fournisseurs de l’Europe de l’Est, aux prix plus bas. Après deux redressements judiciaires, Lætitia Rochatte a racheté la scierie, fournisseur de la société Gerbois, en 2019. Elle est détentrice de 80% des parts de l’entreprise et trois salariés se partagent les 20% restants.

 

Enceinte de son troisième enfant lors de la création de Virtuobois, la chef d’entreprise avait continué à travailler avec l’ancien directeur, mais les mauvais agissements de ce dernier ont coûté cher à l’entreprise. Désormais, Lætitia Rochatte se consacre pleinement à sa scierie, avec son équipe de production. « J’ai conservé huit salariés et embauché quatre personnes depuis 2019, avec une grosse campagne de recrutement cette année. Depuis la reprise, nous avons doublé notre chiffre d’affaires, avec deux millions d’euros attendus en 2021, si nous obtenons les matières premières nécessaires à la réalisation de nos commandes », explique l’entrepreneuse vosgienne.

 

Car l’une des principales préoccupations des professionnels français du bois est la pénurie de bois, racheté à prix d’or par les industriels asiatiques. « En Chine, il est interdit de couper les arbres dans les forêts, alors les entreprises viennent acheter ce dont ils ont besoin chez nous. On crée un plan de Relance avec plusieurs milliards d’euros, alors que les matières premières fuient à l’étranger et reviennent transformées ici. Il faut que le gouvernement s’empare de ce sujet. C’est un non-sens écologique qui me sidère », s’insurge Lætitia Rochatte, qui est actuellement à la recherche d’un commis forestier pour gérer l’achat des grumes. Le bois transformé à Lure – multi essence, chêne, hêtre, peuplier et du résineux – provient de coopératives ou d’exploitants forestiers locaux, et est approvisionné à moins de 100 km de la scierie.

 

La reprise de Virtuobois est un défi de taille, mais la volonté de la nouvelle gérante est solide comme le chêne. L’outil de production vétuste a été progressivement rénové, grâce à 200.000 euros injectés sur la ligne de fabrication. La rénovation des locaux a débuté récemment pour améliorer le confort des salariés. D’autres investissements sont au programme, comme l’acquisition d’une chaudière biomasse avec des cellules de séchage pour relancer l’activité de bois séché. « Nous avons aussi pour but d’investir dans du matériel de deuxième transformation, comme une rainureuse ou une raboteuse, pour transformer le bois après le sciage. Mais ce projet n’est pas encore pour tout de suite », explique Lætitia Rochatte.

 

Malgré un chiffre d’affaires en hausse constante depuis deux ans, il n’est pas encore possible pour Virtuobois de dégager des bénéfices. Mais, pour Lætitia Rochatte, il ne fait aucun doute que la patience et le travail de son équipe feront son œuvre. Elle a déjà connu une expérience similaire avec Gerbois : il aura fallu attendre quatre ans pour que la société vosgienne obtienne ses premiers bénéfices. Et, depuis quatre ans, ils sont en progression constante. « Il faut tenir. Le Gerbois d’hier, c’est le Virtuobois d’aujourd’hui. Tout est donc possible pour nous », confie Lætitia Rochatte.

 

La pénurie de bois racheté à prix d’or par les asiatiques doit être au cœur d’une réflexion du gouvernement.“

 

JANVIER-FÉVRIER-MARS 2022 / VALEURS ECONOMIQUES HAUTE-SAÔNE